Un journaliste du National Post traumatisé d’avoir à attendre son tour

Par Ulli Diemer


Pour ceux qui connaissent le journal canadien National Post que par sa réputation d’être de droite – soyez assuré que cette réputation est bien méritée. Certains des nouveaux reportages conventionnels sont raisonnablement impartiaux et occasionnellement un aspect intéressant apparaît, mais pour la plus grande partie le Post ressemble plus à un journal de propagande qu’à un quotidien. Les journalistes du Post sont uniformément suffisants et négatifs : jour après jour, ils pleurnichent et se plaignent que le Canada est socialiste et inférieur – inférieur à cette utopie de nos voisins du Sud, bien sûr.

Imaginez-vous un docteur Frankenstein qui engendre un automate avec le cerveau de Ronald Reagan et le c’ur d’Attila le Hun, clone le résultat une douzaine de fois, et enseigne ensuite à ses créations quelques phrases simples à partir d’un scénario écrit par l’Institut Fraser, et vous aurez une photo assez exacte de la parade des journalistes du Post. Ce qui les rend si ennuyeux n’est pas simplement leurs opinions, mais leur prévisibilité absolue. Vous savez à l’avance non seulement ce qu’ils diront à propos d’un sujet donné, mais les mots exacts et les phrases qu’ils utiliseront pour le dire. George Orwell aurait pu écrire à propos du Post quand il a écrit, dans « Les politiques et la langue anglaise » que « personne ne semble capable de penser à des tournures de discours qui ne sont pas banales: la prose se compose de moins en moins de mots choisis pour le bien de leur sens, et de plus en plus de phrases attachées ensembles comme les éléments d’un poulailler préfabriqué ».

Un des quelques journalistes du Post qui donne en fait l’impression de penser avant d’écrire – parfois malgré tout – est Jonathan Kay. Il a été connu pour s’être éloigné du scripte – il a écrit une colonne disant que désormais il pensait qu’il avait eu tort de supporter l’invasion de l’Irak, et un article qu’il a écrit sur la censure, m’ont conduit à lui envoyer un email pour le complimenter sur l’article.

Malgré tout, on peut compter sur Kay pour coller à la ligne du parti. En fait, dans un article récent (5 Décembre 2006) sur l’horreur de la médecine socialisée il aurait pu mériter le prix du mois du propagandiste.

Cette particulière histoire d’horreur – Kay l’appelle sa « querelle avec le système » – commence quand il se présente aux urgences de l’hôpital local avec un genou infecté. Le problème est, nous dit-il, avec son genou gauche – renforçant sa croyance, sans doute, que quoique ce soit à gauche est douteux et gênant. L’inefficace système de santé socialiste lui donne un traitement dans les dix minutes – pas trop mal, la plupart d’entre nous pourraient dire – mais pour plaire à un journaliste du National Post, cela est beaucoup plus efficace et les soins sont de plus grande qualité. Bientôt, il est couché dans un lit d’hôpital public, une intraveineuse de clindamycine coulant dans ses veines, et des pensées, sur combien un lit d’hôpital privé serait plus agréable, inondant son cerveau.

M.Kay retourne à l’hôpital le jour suivant pour un traitement de suivi, et cette fois – horreur – il doit s’asseoir et attendre avant d’être vu. En fait, il nous dit « tous les cas sauf les plus graves » doivent s’asseoir et attendre leur tour. Il n’y a pas – c’est dur à croire mais c’est vrai – de file spéciale pour les nantis et les privilégiés, même s’ils sont journalistes au National Post. Donc M.Kay s’assoit et bout. Cependant, il n’est pas totalement sans sympathie pour les autres : il se sent désolé pour les infirmières de triages, dont les compétences, il proclame, sont gaspillées d’avoir à traiter avec « des immigrants hargneux et des personnes âgées délirantes ».

Si seulement, nous avions un système de santé privé, il se plaint, « les gens des classes moyennes, comme moi, devraient payer pour un traitement rapide et ensuite passer le reste de leur journée au travail ou avec leur famille, plutôt que de lire un livre de Stephen King et de respirer les germes des autres dans la salle d’attente de l’hôpital ». Si seulement – si seulement ! – nous avions des services d’urgence privés, ensuite « les personnes avec un peu d’argent à épargner pourraient tendre leurs cartes Visa et obtenir un service rapide et digne ».

Laissons les gens qui ne requièrent pas un service digne – les gens qui ne sont pas de la classe moyenne et qui n’ont pas « d’argent à épargner », les « immigrants hargneux et des personnes âgées délirantes» – laissons les passer leur temps à respirer les germes des autres. Ces gens-là n’ont pas de famille avec qui, ils préféreraient être, ou autres choses qu’ils préféreraient faire avec leur temps.

Comme cela arrive, la même semaine où M.Kay a payé sa visite aux urgences, je me trouvais moi-même dans un autre département d’urgence de la même ville avec ma mère, qui a été admise pour une infection. Ma mère est une de ces personnes – immigrées et âgées – dont M.Kay voudrait mettre sur le côté pour qu’il puisse tendre sa carte Visa et obtenir un service rapide et digne.

Mais voici une nouvelle choquante pour M. Kay: la plupart des Canadiens estiment que les immigrants comme ma mère et moi, et les personnes âgées et les pauvres, méritent tout autant des soins de santé rapides et dignes que ceux qui, comme lui, sont plus aisés. Nous sommes consternés par cette idée que l’accès aux soins devrait être priorisé non pas sur la base du besoin mais sur la base du qui vient à l’hôpital avec la plus grande liasse de billets.

La plupart des Canadiens comprennent que le prétexte que les établissements privés enlèveront la pression sur le système public est juste une arnaque pour cacher le fait qu’un système à deux vitesses signifie de meilleurs soins pour les riches, et de pires soins ou pas de soins pour le reste. Le fait évident est que les cliniques privés n’ajoutent pas un seul médecin, infirmier ou technicien au système de soins de santé. Ils les emploient loin du système public en leur offrant plus d’argent. C’est un jeu à somme nul dans lequel les riches gagnent et les pauvres perdent.

Si M.Kay peut s’acheter des soins en secouant sa carte de crédit ou une lasse de billets de $20, ma mère aura à attendre plus longtemps pour ses soins.

Non merci, M.Kay.



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Voir aussi: 10 mythes des soins de santé.