Dans ce numéro, nous figurons une entrevue avec Ulli Diemer, le coordonnateur du projet ‘Connexions’. Basé à Toronto, au Canada, Connexions fournit de l’information et des services aux individus et aux organismes intéressés aux solutions de rechange sociales et environnementales. Dans cette entrevue, conduite par Jeff Orchard, Ulli répond à des questions concernant le changement social.
Q : Vous avez été actif dans le mouvement du changement social depuis de nombreuses années. Vos points de vue ont-ils beaucoup changé pendant cette période de temps, ou sont-ils restés cohérents ? Qu’aurait pensé Ulli Diemer d’alors du Ulli Diemer d’aujourd’hui ? Quelles différences aurait-il remarqué ?
UD : On est souvent le dernier à être au courant du changement en soit-même – soit cela, ou nous devenons trop suffisants concernant ces changements, peut-être pour noyer nos consciences.
Toujours, pour autant que je sache, mon point de vue n’a pas beaucoup changé, certainement pas en terme de principes fondamentaux, de principes de base. J’ai récemment lu deux ou trois choses que j’ai écrites il y a environ 15 ans, et bien que je me suis recroquevillé un peu à la manière dont j’ai exprimé certaines de mes idées – je pense que je suis devenu un meilleur écrivain, – j’ai trouvé qu’au fond, il y avait très peu en elles que je voudrais désapprouver maintenant. Certains points de détail, mais rien de majeur.
Q : Dans ce cas, il y a certainement ceux qui vous accuseraient de ne pas bouger avec le temps. Le monde a changé. Nous sommes à l’ère de l’ordinateur. Devrions-nous pas changer notre pensée plutôt que de s’accrocher aux vieilles idées qui sont de 25 ou même de 100 années ?
UD : Je pense qu’un des problèmes avec notre société est que nous croyons que tout doit être nouveau et différent. Je ne fais pas des excuses pour m’accrocher à mes « vieilles » idées. Certaines des idées auxquelles je m’attache énormément ne sont pas simplement de 25 ou de 100 années, elles sont de 2000 années ou même plus, et autant que je crain, elles sont aussi valides aujourd’hui qu’elles étaient auparavant.
Ce que je pense que nous devons faire, c’est de distinguer ce qui est fondamental et ce qui n’est pas. Évidemment nous devons changer notre analyse pendant que les situations changent. Une analyse de la situation politique en Europe de l’Est écrite en 1969 ne serait pas terriblement utile maintenant. Et nous devons adapter notre manière de faire les choses. En 1969, mes activités politiques ne m’ont jamais rapproché d’un ordinateur. Maintenant j’utilise un ordinateur constamment. Mais je l’emploie pour poursuivre essentiellement les mêmes buts que je poursuivais alors.
Q : Quels sont ces buts ? D’habitude vous étiez connu en tant que Marxiste, comme un partisan de quleque chose appelée « le socialisme libertaire ». Utiliserez-vous ces termes pour vous décrire ? Et que voulez-vous dire par ces termes ? Le socialisme et le marxisme ont-ils été critiqués par l’effondrement en Europe de l’Est ?
UD : Bien, comme vous savez probablement, la politique avec laquelle je m’identifie a toujours considéré le système Soviétique comme une trahison, le contraire même de ce que Marx signifia par le terme socialisme. Ces sociétés n’étaient pas plus socialistes que l’Inquisition était une expression des idéaux du Jésus-Christ. Le socialisme, comme Marx l’a décrit présupposa l’effondrement de l’état comme nous le savons, une liberté ultime d’expression et d’association pour l’individu, une société radicalement démocratisée, une fin à la censure et à la peine de mort. Si vous lisez ce que Marx a écrit réellement, vous constaterez que sur chaque aspect important, les dictatures Soviétiques en fait exactement l’inverse.
Marx et Engels ont spécifiquement déclaré que le remplacement de la propriété capitaliste par une propriété d’état ne voudrait par lui-même rien dire si ce n’est quune forme absolue de tyrannie. Capitalisme où l’état avait remplacé les capitalistes individuels. En 1918, Rosa Luxemburg a averti que l’approche adoptée par les Bolsheviks détruirait l’éventualité du socialisme en Russie.
Q : Mais pourquoi est-ce que vous continuez à vous appeler un socialiste alors que pour la plupart des gens ‘socialisme’ signifie les horreurs du Stalinisme ?
UD : C’est certainement une question très valable. Beaucoup de personnes qui partagent un point de vue semblable au mien ont abandonné ce terme, et s’appellent autre chose, ou ils évitent tout simplement d’attacher n’importe quelle étiquette à ce qu’elles croient. Je peux m’associer avec cela. Mais je ne commence pas normalement une conversation politique en me proclamant un socialiste. Quand vous vous appelez un socialiste maintenant, assurément les gens ont tendance à fermer leurs cerveaux en se disant : « Bien, je sais ce que vous êtes, je n’ai pas besoin de prendre la peine de vous écouter ».
Mais la raison pour laquelle je m’appelle toujours un marxiste et un socialiste est parce que j’en suis un. Je crois que ces idées sont valides. Pour moi, le travail de Marx demeure la plus profonde et fructueuse source d’idées pour comprendre comment la société travaille et comment elle pourrait être transformée. Bien entendu, pas dans tous les sens. Marx avait tort à propos de certaines choses, et le monde a changé considérablement depuis qu’il a vécu.
Mais je reste convaincu que tout effort qui mène à transformer notre monde en un monde qui est fondamentalement plus libre et plus juste et plus écologiquement complet, doit être enraciné dans la critique Marxiste et la méthode Marxiste, même s’il sait s’il l’est ou s’il ne l’est pas. Et si vous croyez cela, vous pourriez aussi bien vous appeler un socialiste et un marxiste, parce que si vous voulez que les personnes jettent un oeuil sur ce que Marx, et le meilleur des marxistes, comme Luxembourg, a dû dire, alors tôt ou tard vous devez déblayer l’ordure et les déformations qui ont été amassés sur elles.
Q : Alors, où est-ce que le terme ‘socialisme libertaire’ s’adapte?
UD : Le but de clouer l’étiquette « libertaire » sur le « socialisme » est de faire ressortir que le socialisme parle de la liberté et de la démocratie avant et au-dessus de toute autre chose. Le point est également d'être provocateur, d’ouvrir une discussion, d’avoir des gens qui disent « n’est-ce pas qu’une contradiction en ces termes ? », qui vous donne une occasion de dire « Bien non, je ne pense pas ainsi » et puis continuer en parler.
Q : Même si le socialisme est bon comme modèle, n’est-il pas peu réaliste ? Le monde ne se déplace-t-il pas dans la direction opposée ? Le mouvement du changement social a-t-il accompli réellement quelque chose ?
UD : Bien, c’est certainement une bataille ascendante, à coup sûr. Les incidents sont probablement en faveur d’un monde qui s’enpire plutôt qu’un monde qui s’améliore. Mais d’autre part, qui sait ? Il y a cinq ans, qu’aurions-nous pensé des incidents d’après ce qui s’est produit en Europe de l’Est ?
Cependant, je pense qu’il y en a aucun doute du fait que les mouvements pour le changement social ont eu un impact énorme. Le mouvement des femmes, le mouvement environnemental, les syndicats, ont joué un rôle important en changeant les règles de base de la société. Le système a été capable d’arrêter ou de coopter partiellement ces mouvements, mais même en faisant cela, il a dû céder.
Il y a également eu beaucoup d’accomplissements essentiellement défensifs – qui ont agit afin de prévenir la situation de devenir plus grave, en empêchant des choses nocives à se produire. Il est peut être quelque chose locale, comme arrêter une centrale nucléaire, ou quelque chose comme le mouvement anti-guerre Vietnamien; même s’il ne pouvait pas l’arrêter, il a pu probablement aider à empêcher le gouvernement des États-Unis de tenter bien plus de destruction sur les Vietnamiens.
Naturellement quand vous travaillez pour le changement fondamental, il n’est pas terriblement satisfaisant de savoir que tout ce que vous avez fait c’est d’empêcher les choses à devenir aussi mauvaises qu’elles pourraient autrement être. Mais même nos petites victoires ont fait d’énormes différences pour beaucoup de personnes, y compris nous même. Nous pouvons être satisfait avec cela, même pendant que nous essayons de réaliser de plus grandes victoires.
Q : Si c’est un combat si difficile, n’avez-vous parfois pas envie de tout abandonner et de jeter l’éponge ?
UD : Mais il n’y a aucune raison de renoncer. C’est pas comme si vous vivez en Europe de l’Est en 1970, ou en Irak de Saddam Hussein. Bien entendu, si vous risquez de vous faire fusiller pour s’opposer au régime, ou être mis dans un camp de prisonniers ou un hôpital psychiatrique pendant dix années – bien, c’est une raison assez valable pour ne pas s’opposer à la politique qui règne.
Néanmoins, je crois fermement qu’il est seulement parce que certains ont eu le courage de résister même dans ces circonstances que vous et moi avons le confort de se reposer aujourd’hui. Si nous avons un certain degré de liberté et de démocratie, limité ou pas, quel que soit le coin du monde, il est seulement parce qu il y a eu des gens qui voulaient mettre leurs vies et liberté sur la ligne quand la situation était beaucoup plus mauvaise que celle que nous faisons face ici aujourd’hui. Il n’y a pas un grand nombre de personnes comme Nelson Mandela qui pourrait passer un quart de siècle en prison pour leurs idéaux. Mais si la démocratie vient en Afrique du Sud, il sera parce que Mandela et d’autres comme lui ont refusé d’abandonner contre toute attente. Dans un pays comme le Canada, on a pas besoin d’être extremement courageux pour être un activiste.
Q : Mais si les conflits sont empilés contre l’accomplissement de vos opinions, n’avez-vous pas envie d’abandonner vos idéaux parce que leur réalisation semble désespérée ?
UD : Elle n’est pas désespérée. Même si vous ne vivez pas pour voir l’accomplissement de vos objectifs, vous pouvez encore faire une différence. Vous pouvez apporter des petites contributions qui rendront le monde meilleur, un peu plus humanitaire. Vous pouvez au moins aider à étendre le fond pour que les générations futures continuent ce que vous avez commencé. La lutte contre la ségrégation en Afrique du Sud s’est produite pendant plusieurs générations. La plupart des femmes et des hommes qui l’ont commencé ne sont plus là, mais elles ont finalement joué un rôle crucial dans le succès du mouvement. Nous les humains, faisons beaucoup de choses mais nous ne vivrons pas pour voir les résultats – nous plantons des arbres, laissons nos fortunes à nos petits-enfants. Il faudra des générations pour réaliser une société véritablement libre.
Mais d’une part, je pense que la chance de ‘gagner’ est presque impertinente quand même – quoique je veux passionément gagner. C’est que je ne ferais vraiment rien de très différent si je pensais que les chances étaient de 5%, ou si elles étaient de 95%. Je travaille pour certains idéaux parce que je crois en eux. Si les injustices que je déteste semblent profondément ancrées, suis-je censé de les ignorer ? Si je pense que les chances d’atteindre les libertés qui forment ma conviction sont défavorables, suis-je censé feindre que je ne les ai jamais vraiment voulu de toute façon ? Pourrai-je être plus heureux si je fais cela ? Comment est-ce que je pourrai vivre avec moi-même ? Nous devons tous nos droit et nos libertés aux gens qui n’ont pas attendu que les chances fussent favorables, encore moins des garanties de succès.
Franchement, je ne peux pas comprendre les personnes qui abandonnent leurs idéaux. Je ne dis pas que j’attends à ce que chaque personne risque sa vie pour chaque problème. Je peux comprendre des personnes qui se retirent parcequ’elles sont fatiguées par les exigences du travail, parce qu’elles ont des enfants, parce qu’elles ont des problèmes de santé, parce qu’elles sont dans l’agitation émotionelle. Les contributions que nous pouvons apporter varient considérablement selon nos circonstances. Nous faisons ce que nous pouvons.
Mais c’est une question différente de réellement abandonner vos idéaux. Quand vous faites cela, vous vous trahissez. Vous dites que vous n’êtes pas inquiets de l’injustice aussi longtemps qu’on vous laisse tranquille, vous ne vous inquiétez pas si d’autres personnes souffrent tant que vous ne devez pas souffrir, vous ne vous inquiétez pas si d’autres personnes sont libres ou pas tant que vous êtes libres. Vous préferez ne pas vous impliquer. Pour moi, cela signifie que vous abandonnez votre propre humanité. Je suis commis à une certaine vision de changement social parce que c’est la seule manière que je peux être fidèle à moi-même. Je ne pourrais pas vivre en toute autre manière. Je suis désolé pour les personnes qui ont abandonné. Elles sont souvent très suffisantes, mais elles ne semblent jamais très heureuses.
Q : Que diriez-vous de l’argument qui souligne que le type de société que vous proposez est utopique, que les gens sont trop égoïstes ou peu fiables pour qu’une société travaille d’une manière vraiment libre et démocratique? Ne mettez-vous pas trop d’espérance dans la bienfaisance de la nature humaine?
UD : Je ne pense pas que la nature humaine est intrinsèquement bonne. Je pense qu’elle est un mélange très compliqué et contradictoire de bon et de mauvais, et elle est aussi très malléable. Beaucoup dépend de ce que la société fait pour mettre en évidence les potentiels qui sont latents dans les personnes, et notre société est adaptée à mettre en évidence beaucoup de ce qui est le plus mauvais en nous. Une société différente pourrait nous aider à faire ressortir notre potentiel pour notre créativité, coopération et notre égard por d’autres personnes.
Mais en tous cas, le fait que les gens peuvent être égoïstes et peu fiables est un argument pour la démocratie. C’est précisément pourquoi on ne peut pas faire confiance à un individu ou à un petit groupe qui d’utiliser de la puissance au-dessus du reste d’entre nous. Ceux qui détiennent la puissance sont généralement corrompus par elle parce qu’ils sont aussi égoïstes et méfiants que n’importe qui. C’est l’une des indiscutables raisons pour décentraliser et démocratiser le pouvoir – de partager l’autorité aussi largement et également que possible.
Q : Les événements récents en Europe de l’Est vous incitent-ils à vous sentir plus optimiste concernant des changements possibles ?
UD : Ce qui s’est produit là-bas est une illustration énorme de ce qui est dans le royaume du possible. Vous avez eu les sociétés là-bas qui avaient été fermées sur un modèle autoritaire très rigide pendant quarante-cinq années ou plus, et si vous circuliez et parliez aux gens ou obteniez un sens de la société, la plupart des personnes auraient dit, secrètement et personellement cru qu’un changement fondamental était impossible, et certainement qu’elle n’allait pas se produire rapidement. Même les activistes courageux qui s’opposaient à ces régimes pensèrent que ce qu’ils pourraient accomplir était un minage lent, ou une soigneuse accumulation progressive de réseaux et de mouvements alternatifs sociaux. Dans une ville comme Leipzig ou Prague, vous auriez peut-être deux ou trois douzaines à deux ou trois cent personnes qui étaient réellement des activistes qui organisaient des protestations contre le gouvernement ou qui étaient insoumis d’une manière quelconque, et le reste de la population voualient rien à faire avec eux parce qu’elles pensaient qu’il était imprudent et que ces rebelles obtiendraient que de l’ennui ou ils seraient jetés dans la prison ou perdraient leurs emplois.
Et puis la circonstance changa, et la raison pour laquelle les circonstances changèrent est en partie parce que la conscience des personnes avait changé. Les gens qui se reposaient un jour à la maison politiquement passifs, étaient par milliers et puis des centaines de milliers, soudainement dans les rues. Et d’autre part, quelque chose s’est produite dans leur conscience où ils ont soudainement jugé qu’un changement était possible. Un fardeau mental avait été soulevé et ils se sont sentis capable de sortir dans les rues et ils ont commencé à croire qu’un changement était possible. Et parce que tant d’autres personnes ont senti la même chose, il était soudainement devenu possible. Et au cours de quelques mois, tous ces régimes se sont simplement renversés.
Q : Quels sont vos sentiments à propos des évènements qui se sont dépliés dans ces pays depuis que les Communistes ont été renversés ?
UD : J’ai des sentiments mitigés. Je suis très heureux que les dictatures aient été renversées et qu’il y a maintenant des conditions pour le développement des sociétés plus libres et plus diverses. Je pense qu’il est imprudent de se lancer dans le capitalisme du marché libre car cela engendrera des conséquences néfastes comme des catastrophes économiques et sociaux. Les Européens comptent maintenant obtenir un niveau de vie comme la bourgeoisie de l’Europe de l’ouest ou Américaine, mais beaucoup d’entre eux vont finir avec un niveau de vie plutôt comme le Gastarbeiter (ouvrier étranger) de l’Europe occidentale ou les ghettos Américains. Quelques personnes seront assurément beaucoup plus aisées, mais beaucoup vont actuellement empirer économiquement. Vous aurez probablement des personnes qui seront nostalgiques pour le bon vieux temps du Stalinisme! Je suis également préoccupé par la réémergence de vieilles hostilités nationales et raciales. Il semble que la première pensée pour beaucoup de personnes qui détestaient la dictature, était de retourner à leur propre haine de cinquante ans, quand la dictature fut renversée. Les Bulgares, certains d’entre eux de toute façon, se tournent vers la minorité Turque, les Roumains persécutent toujours la minorité Hongroise. En Allemagne de l’Est, vous avez le développement d’un mouvement significatif et ouvertement fasciste, particulièrement un mouvement des jeunes, skinheads (marginaux aux cranes rasés, provocateurs, violents et souvent racistes) et ce genre de chose.
Q : Comment répondez-vous à ceux qui disent qu’il a été prouvé qu’une société de marché libre est le seul qui peut ‘tenir sa parole’, que seuls les marchés libres peuvent créer des sociétés qui sont prospères et libres ?
UD : C’est le mythe principal de notre temps, naturellement. Les sociétés « du marché libre » ont évidemment été les moteurs énormes de la croissance économique et de la prospérité. Mais ils produisent également des inégalités énormes. Nous nous asseoyons confortablement en buvant du café, mais les personnes qui ont cultivé ce café et qui l’ont récolté, et qui travaillent beaucoup plus dur que nous, sont presque certainement désespérément pauvres. Ensemble, nous formons tous le marché du café, mais quand nous pensons du marché libre, nous songeons seulement à nous-mêmes et à quel point nous sommes riches. Et ce rapport que nous entretenons, est un microcosme de ce qu’est le marché libre. C’est un système mondial des liens, et nous considérons les 10 ou 20 principaux pour cent du lien et nous imaginons que cela est le marché libre. Il ne l’est pas. Le système entier est le marché libre, et ce système produit beaucoup plus de pauvreté, de misère et de dévastation écologique qu’elle fait de la prospérité. Ce n’est aucune coïncidence. Il n’est pas parce que le marché libre n’est pas encore arrivé en Afrique ou en Amérique du Sud. Il en est arrivé. Ces personnes travaillent en ce moment, en cultivant le café – ou quelconque – pour le marché libre et nous sommes tous de la partie. Bien ici, dans cette ville, la ville la plus riche dans un des pays les plus prospères au monde, et Dieu sait que nous sommes aussi un des marchés les plus libres; nous avons des milliers, littéralement des milliers de personnes qui n’ont même pas un endroit à vivre. Si vous regardez par cette fenêtre, vous verrez deux d’entre eux, une femme qui vit et dort dans une allée, et un homme qui s’assied toute la journée devant une porte. Nous avons des dizaines de milliers de personnes qui comptent sur les organismes de bienfaisance, sur les banques alimentaires afin de pouvoir manger. Dans ce pays prospère, il existe plus d’un million de personnes qui ne disposent pas d’un emploi. Dans certains régions du pays, le taux de chômage est plus de 15 pour cent. Beaucoup d’autres personnes en ont du travail mais malheureusement les produits chimiques et les fibres dans leurs lieux de travail, ruinent leur santé. Ces travailleurs n’ont pas le choix que de continuer à travailler car ils ont besion du travail pour survivre. Le marché libre ne résout pas le problème de tout le monde. Il fait bon vivre seulement pou quelques uns, un niveau de vie assez décent pour un plus grand nombre, et beaucoup, beaucoup moins pour la majorité. Le marché libre n’est pas simplement les courtiers de bourse sur Bay Street faisant plusieurs centaines et des milliers chaque année, mais le marché libre est aussi les nettoyeurs dans ce même bâtiment faisant $7 par heure. Quant au fait de livrer de la démocratie ou la liberté politique, vous avez seulement à regarder une carte pour vous rappeler que la plupart des nations du marché capitalistes sont autoritaires et politiquement répressifs. L’idée « d’un marché libre » doit être aussi considérée plus étroitement. L’expression « marché libre » est vraiment un cheval de Troie idéologique contenant une série d’idées qui ont été rajoutées toutes ensembles. Les défenseurs du marché libre supposent qu’il va sans dire que les marchés libres signifient la propriété capitaliste privée de l’entreprise économique. Un système où quelques personnes commandent la richesse et engagent beaucoup d’autres personnes de travailler pour elles, et les personnes qui travaillent pour elles n’ont pas la propriété ou la commande. Il n’y a aucune raison pourqoi cela doit être ainsi. Par exemple, vous pouvez avoir des rapports d’affaires de marché entre les coopératives, ou des entreprises possédées par des ouvriers, ou des compagnies publiques. Tout ce qu’un marché libre veut vraiment dire c’est que vous allez produire et échanger des biens et des services tout en vous basant sur les prix et la demande.
Q : Dites-vous que la propriété privée est alors erronée?
UD :Non, pas nécessairement- ça dépend. Elle est bonne pour certaines choses, pour d’autres, elle ne l’est pas. Il n’y a pas un seul type d’entreprise ou de propriété qui est appropriée pour toutes les situations. Si vous avez une petite entreprise, un restaurant, un magasin du coin, le bureau d’un dentiste, alors, la propriété privée semble probablement plus raisonnable. Quelque chose comme une coopérative pourrait fonctionner bien aussi, selon les personnes qui font le co-fonctionnement. Essayer d’imposer la propriété du public aux petites entreprises comme cela serait un cauchemar – l’Europe de l’Est a fourni n’importe quelle preuve qui était encore nécessaire pour cela. Je ne vois certainement aucune raison pour que l’état s'implique directement dans ce type d’affaire, hormis établir des règlements de santé pour des restaurants, ce genre de chose. D’autre part, je pense que les grandes sociétés comme des banques et des compagnies s’écrient pour une propriété et une direction publique. Je ne vois aucune justification pour permettre le privé d’approprier nos ressources naturelles. Comment justifiez-vous de laisser une société particulière de s’emparer les forêts, les réserves de pétrole, ou les quotes-parts de poissons ? Cela devrait appartenir à la société collective, y compris les générations futures.
Q : D’où dessinez-vous la ligne alors ? Quelle doit être l’ampleur d’une entreprise avant que la propriété du public soit appropriée?
UD : Vous ne pouvez pas tracer une ligne arbitraire. L’ampleur de l’entreprise determine le nombre de personnes qu’elle emploie, les ressources qu’elle utilise et son impact sur l’environnement et la communauté – si l’entreprise est grande, elle engendra une participation publique accrue. La propriété est nullement le seul problème. Il y a d’autres façons comment le public peut contribuer: les politiques fiscales qui encouragent ou découragent des choses particulières, les règlements environnementaux, la législation.
Quel que ce soit la forme de propriété que nous ayons, je pense qu’il est cruciale que l’activité économique soit sujette à une contribution plus démocratique qu’elle l’est maintenant. Nous ne devrions pas d’être pris au piège en pensant qu’il y a qu’une solution – la propriété d’état – d’exercer un contrôle plus démocratique. Il existe plusieurs différentes façons: nous devons être créatifs et flexibles. Et nous devons écouter les personnes qui travaillent déjà dans un domaine précis ou une entreprise particulière. Ils sont souvent ceux qui viendront avec de meilleures façons de faire certaines choses.
Je voudrais en particulier encourager les formes alternatives de propriété comme des coopératives ouvrières. Mais je pense que c’est plus une question de fournir de diverses formes d'appuis et d’incitations, plutôt que d’essayer de légiférer ou de tout foncer dans un seul moule.
Quoi que nous fassions, nous devons tenir compte la diversité des formes, pour l’expérimentation et l’initiative.
Q : L’idée d’une forme plus radicale de démocratie : vous en traitez comme raisonnable dans l’annuaire Connexions, où vous avez écrit « pourquoi est-ce que les activités économiques ne devraient-elles pas se justifier pour des raisons d’utilité sociale si elles vont consommer nos ressources ? » « pourquoi, en effet, des décisions économiques ne devraient-elles pas être prises démocratiquement, par ceux qui effectuent le travail et qui ont besoin des biens et des services ? »
UD : Bien, il semble comme le bon sens pour moi. Il ne semble clairement pas raisonnable pour tout le monde.
Cela dépend d’où vous provenez ; si vous provenez du point de vue que la clef à une bonne société est que les gens devraient pouvoir accumuler autant de richesse que possible, alors elle ne semblerait pas du tout comme le bon sens.
Je crois fermement dans la démocratie. Une vraie démocratie c’est d’avoir un contenu salutaire, et la démocratie que nous avons dans ce pays est actuellement au sujet de très de peu. L’idée de la démocratie ici c’est d’aller aux scrutins régulièrement et déposer un « X » pour une personne ou une autre qui sera alors un backbencher pour une quelconque partie politique, et fera ce que le chef de cette partie lui dira de faire. Et vous savez que la partie élue n'effectuera pas ses promesses d’élection de toute façon. Le système électoral lui-même n'est pas très démocratique : dans ce pays, pendant la dernière élection, une majorité absolue avait voté contre le libre échange, et nous finissons par accepter le libre échange de toute façon, imposé par un gouvernement qui avait été rejeté par une large majorité des électeurs.
Pour qu’il y ait la vraie démocratie, vous devez pouvoir l’exercer plus directement et plus fréquemment, et vous devez pouvoir l’exercer au-dessus de plus de choses qui importent. Si beaucoup de décisions principales sont prises dans les conférences collectifs, plutôt que démocratiquement, alors vous n’avez pas vraiment de démocratie.
Du point de vue de l’environnement, aussi, nous devons avoir plus de contrôle sur les décisions économiques. Une des choses dont les gens se sont rendus compte c’est que nous formons partie de l’environnement, nous sommes touses affectés par ce que d’autres personnes lui font, ce qu’elles mettent dans l’eau, l’air, ou le sol. La seule manière de contrôler vraiment ces choses c’est de le faire au moment de la production. Il semble beaucoup plus raisonnable d’arrêter la production de la pollution qu’essayer de la nettoyer après, ou d’empêcher les ordures inutiles d’être produites en premier lieu qu’essayer de les traiter plus tard. Cela signifie que nous devons avoir la responsabilité démocratique sur ces décisions relatif à la production des ordures.
Aussi, concernant la santé des employés, nous devons changer la manière que les décisions sont prises. Les personnes qui travaillent dans un endroit particulier sont les plus affectées par ce qui se produit là-bas. Si vous respirez les choses qui vous donnent le cancer, vous avez certainement le droit de savoir ce qu’il y a dans l’air, sans se soucier du secret industriel. Et vous devez avoir le droit de décider, collectivement, du point de vue du bien commun, si ces choses sont utilisées ou pas. Non seulement du point de vue qu’un certain ingrédient soit moins cher qu’un autre ingrédient, mais du point de vue de savoir si c’est un plus grand risque pour la santé ou non.
Tant que ces décisions sont déterminées par des directeurs ou des propriétaires seulement pour maximiser le bénéfice, comme c’est le cas maintenant, beaucoup de ces décisions ne vont pas être les meilleures-du point de vue environnemental, du point de vue de la santé des ouvriers, ou du point de vue de l’utilité sociale du produit.
Q : Vous êtes devenus un activiste vers la fin des années 60. Rétrospectivement, comment évaluez-vous le radicalisme des années ‘60 maintenant ?
UD : Une des plus importantes choses au sujet des années soixante était l’idée que le vrai changement était vraiment possible, que vous n’aviez pas à vous arranger pour des petits compromis indignes, vous pouviez réellement changer la société d’une manière fondamentale.
La compréhension du pouvoir était probablement naïve, dans le sens que nous ne nous sommes probablement pas rendus compte du long et dur trajet qu’il fallait parcourir.
Pour moi, une des contributions les plus valables était l’idée de pouvoir sortir et changer le monde. C’était une percée mentale et psychologique qui avait étendu le fond pour plusieurs mouvements qui ont suivi à la suite des années soixante.
L’idée de la démocratie participative était l’une des idées principales des années soixante. Elle n’était pas nécessairement très bien définie, mais elle articula le pressentiment que les gens devraient pouvoir prendre ou participer à la prise des décisions qui affectent leurs propres vies. Ces décisions ne devraient pas être prises par une certaine répartition de pouvoir anonyme quelque part, plutôt les gens devraient pouvoir prendre directement ces décisions. C’est une idée très radicale, une idée très subversive. Et elle est une idée qui a été certainement reportée dans d’autres mouvements, comme le mouvement des femmes ou le mouvement environnemental.
Q : Un des thèmes du radicalisme des années soixante, et ce que vous avez souligné dans vos oeuvres, était l’idée que la transformation sociale signifie un changement non seulement politique et économique, mais également les changements profonds dans la façon dont nous menons nos vies et dans la manière que nous pensons. Vous avez écrit que la politique socialiste exige «de la critique et d’une transformation de la vie quotidienne, » et que le « capitalisme est un système total qui envahit tous les domaines de la vie : le socialisme doit surmonter la réalité capitaliste dans son intégralité.» Comment est-ce que cela peut être traduit en termes pratiques ?
UD : Elle signifie que dans nos activités politiques, dans nos relations avec d’autres personnes, nous essayons de réellement vivre notre politique et installons des procédures et structures reflétant les principes que nous préconisons, comme des organismes libres et démocratiques, le respect mutuel, l’égalité entre les sexes, l’inclusion des minorités, une discussion libre et ouverte, et ainsi de suite. Et que nous essayons de vivre nos vies, le mieux que nous le pouvons, en tant qu’êtres libres, en essayant de réaliser notre propre potentiel, stimulant la communauté avec les autres Je réalise qu’il est beaucoup plus facile d’énumérer quelques vagues généralités comme ceux-ci que pour être précis – je devine qu’il vous faut discuter une situation après une autre. Peut-être qu’il est important de continuer à pousser en avant la nécessité de traiter ce genre d’issues. Veiller à ce que nous restions informés de ces problèmes, qu’ils soient considérés et bien traités. Les femmes sont toujours souvent celles qui jouent ce rôle, j’imagine. J’espère que les hommes s’améliorent dans ce domaine.
Q : Comment voyez-vous certaines formes d’expérimentations sociales qui sont les plus radicales: vie communale, permissivité sexuelle et rapports « non-monogames », différents arrangements parentals, ce genre de chose ?
UD : Je suis certainement en faveur pour toutes tentatives de se libérer de certaines camisoles de force sociales et morales. Évidemment quelques expériences sont meilleur que d’autres, et certaines d’entre elles sont beaucoup plus intelligemment conçues que d’autres. Nous avons vu beaucoup de stupidités aussi bien que quelques choses de très positives et créatrices. Mais c’est ce que vous avez quand vous expérimentez.
Je suis contre l’idée d’être dogmatique concernant ces choses. Vous ne pouvez pas percevoir une institution sociale dominante comme le mariage et dire : « C’est mauvais, allons le supprimer » – comme si c’était quelque chose qui pourrait être décrétée hors de l’existence. Vous ne pouvez pas utiliser un marteau de forgeron par rapport aux modèles des relations humaines. Mais nous devons remettre en question nos propres attitudes envers des choses comme le mariage et la sexualité et voir ce que nous pouvons faire pour créer des formes de vies qui sont à la fois libres et favorables.
Q : Préconiseriez-vous quelque chose comme le « mariage libre » ?
UD : Je ne le préconiserais pas, mais je ne serais pas contre non-plus. Il ne peut pas y avoir un modèle qui serait tout à fait convenable. Et il est si facile de blesser les autres, et de vous blesser vous-même. Vous devez essayer de découvrir ce que sont vos besoins, qu’est-ce qui fonctionne pour vous, examinez les choses soigneusement. Pour la plupart des gens le « mariage libre », ou quelque chose comme cela, est trop menaçant, certainement dans cette société.
Mais en ce qui me concerne « le mariage libre », c’est juste une façon valide d’être dans une relation sexuelle exclusive avec un seul partenaire. Naturellement, beaucoup de personnes n’ont pas une relation sexuelle aussi exclusive avec leur partenaire qu’elles pensent qu’elles en ont quand même. En Amérique du Nord, quelque chose comme 70% des hommes mariés et 50% de femmes mariées ont au moins une affaire extra-conjugale. C’est juste que la plupart du temps c’est fait secrètement. Je pense que les gens qui sont commis au besoin du changement social doivent contempler leurs propres attitudes sur de telles choses. Je connais certainement des hommes qui pensent qu’il est BIEN de jouer autour, mais qui ne voudront pas que leur partenaire fassent de même.
En tous cas, je pense que les efforts de libérer la vie quotidienne et les rapports sont un élément absolument crucial pour le changement social. Les femmes, encore, ont été à la tête de cela.
Et d’autres, comme les homosexuels, et les bi-sexuels, qui, parmi beaucoup d’autres choses, ont aidé à montrer qu’il est bien d’apprécier le sexe. En tant que société, nous gérons la sexualité très mal. Nous devons devenir beaucoup plus confortables avec notre sexualité et aussi même qu’avec notre corps humain. Nous employons des images sexuelles pour vendre des produits tandis que nous poursuivons des nudistes. Ce dont nous avons besoin est plus d'acceptation de nudité occasionnelle, plus d’honnêté dans notre jouissance sexuelle, de meilleure pornographie, et beaucoup moins d’ objectification perverse de sexualité par les médias.
Q : Bonne pornographie ? Est-ce possible ? Faites-vous une distinction entre la pornographie et l’érotisme ?
UD : Si vous l’approuvez, c’est un art érotique. Si vous ne l’approuvez pas, c’est de la pornographie. Je ne trouve pas de distinction. Je sais que censément la pornographie perçoit la femme qui est associée à la sexualité, alors que l’art érotique démontre le sexe comme quelque chose édifiant et ainsi de suite, mais c’est un jugement critique, pas une définition objective. C’est un peu comme un bon roman et un mauvais roman. Il y a certainement une différence, mais c’est une différence de qualité, pas une différence entre deux choses différentes. Les deux sont des romans. De même, il y a de la bonne pornographie et de la mauvaise pornographie. Ou le bon art érotique et le mauvais art érotique, si c’est le terme que vous préfèrez.
Je sais que certains pensent qu’il y a une norme objective pour distinguer la pornographie de l’érotisme. J’ai vu des définitions dans le sens de : « S’il représente le corps d’une femme comme un objet, c’est de la pornographie ; s’il démontre le plaisir mutuel, c’est l’art érotique ». Bien, essayez d’appliquer cela dans le vie réelle.
Pour moi, la pornographie est comme la télévision. La plupart est assez mauvaise, une partie d’elle est violente et une partie est complètement répugnante. Bien que je parie qu’il y a beaucoup plus de violence à la télévision, même dans les émissions des enfants aussi bien que dans la pornographie. Il y a des forces dans notre société, dans notre marché, qui créent une tendance forte pour la plupart – pornographie ou télévision – d’être mauvaise. Mais ça ne doit pas être intrinsèquement mauvais. Parfois il est assez bon, ou assez décent de toute façon – je veux dire assez indécent ! – et sous de différentes circonstances, plus de la bonne pornographie pourrait être bon.
Q : C’est un désaccord avec des parties du mouvement féministe ?
UD : Oui, avec des parties, sur cette question particulière. Je n’est aucun doute que le mouvement des femmes a été une force extrêmement positive. Il a eu un impact majeur dans presque chaque domaine de la société et il a confronté beaucoup de choses qui doivent être confrontées. Il a transformé le mouvement pour le changement social, aussi bien que la société généralement, cependant, évidemment il y a un bon bout de chemin à faire encore.
J’ai quelques critiques conçernant la direction prise par les parties les plus prominentes du mouvement féministe. Tandis qu’un certain travail très important se fait sur des questions comme la violence contre les femmes et l’avortement, plusieurs chefs féministes semblent désormais avoir le but d’acquérir leur part de puissance et de la richesse au sein du système, plutôt que de changer le système. Obtenir la moitié du conseil d’administration de corporation pour les femmes, plutôt que d’arracher la puissance et la richesse de l’entreprise.
Q : Peut-être avoir des femmes dans des positions puissantes changera la nature du pouvoir et comment il est utilisé ?
UD : Probablement pas! Je suis d’accord, naturellement, avec ces femmes et d’autres groupes désavantageux qui obtiennent leur part équitable. Mais les femmes et les minorités obtenant leur partie équitable du pouvoir ne vont pas fondamentalement changer la nature du pouvoir. Les femmes politiciennes ont montré qu’elles peuvent, jusqu’au moindre détail, être aussi impitoyable que les politiciens masculins. Les chefs noirs peuvent être aussi despotes que les blancs. Etre opprimé ou exploité par une femme ou une personne de votre propre race n’est pas plus amusant, bien qu’au moins, ça mérite de rendre les principes fondamentaux de la structure du pouvoir plus claire.
Q : Mais n’est-il peut-être pas une question de la femme qui doit se conformer à une structure de puissance masculine et leur façon de faire les choses ? C'est pourquoi elle doit porter les vestons
UD : Bien, tout le monde doit se conformer à la répartition des pouvoirs, les hommes également. Les hommes doivent porter des vestes, des cravates aussi, qu’ils les détestent ou pas. La répartition du pouvoir a son propre poids mort, inertie. Les organismes des femmes, ou les organismes qui sont dirigés par des femmes, sont souvent plus égalitaires que des organismes dominés par les hommes. Vous trouverez autant d’acivités politiques égocentriques, d’attaques hypocrites et tout cela chez les organismes des femmes aussi bien qu’ ailleurs.
C’est que nous avons un système hiérarchique qui est autoritaire, qui exploite les gens. Une des caractéristiques importantes de ce système est toujours qu’il est patriarcal. Mais cela peut bien changer, ayant pour résultat un nouveau système où les sexes sont égaux mais qui d’autres part est aussi accablant et exploitant que jamais.
En outre, appeler le système patriarcal peut parfois être fallacieux parce qu’il y a quelques aspects très distincts à cette domination masculine. Il y a le sens social plus large où les hommes ont plus de pouvoir et de privilège, où les époux ont plus de pouvoir et de privilège que leurs épouses, plus d’accès aux emplois, et ainsi de suite. À ce niveau, la plupart des hommes sont relativement plus privilégiés. Cette inégalité est l’un des principaux problèmes et injustices dans notre société.
Et il y a également le fait que les dirigeants de la société sont la plupart du temps masculins. Évidemment ces deux faits sont étroitement liés. Ils ne sont pas une coïncidence. Mais en simplement utilisant le même terme « patriarcal » peut faire croire que les 13 millions d’hommes au Canada gouvernent ensemble le pays. C’est faux. La plupart des hommes n’ont aucune puissance à ce niveau. Il y a peut-être 100.000 personnes – je pense – qui sont dans l’élite du Canada, et peut-être 80% d’entre eux sont des hommes. Le reste des hommes n’ont pas plus de puissance de parler, à ce niveau, que les femmes qui n’appartiennent pas à l’élite. Un homme de classe ouvrière n’a pas plus de pouvoir exercé par un cadre d’entreprise ou un ministre du conseil qu’une femme de classe ouvrière. Ils ont tous les deux une part égale : Zéro
Les femmes qui veulent être parmi l’élite, ou qui ont envi d’acquérir plus d’autorité en s’y adhérant, sont surtout concernées par le fait que ce sont les hommes qui exercent principalement la puissance. Elles veulent que l’autorité se partage à moitié avec les femmes. Sympa. Alors, la moitié des oppresseurs sera des femmes. Je ne dis pas qu’il n’est pas convenable que les femmes devraient avoir la moitié de tout ce qu’il existe, et évidemment plus de femmes au pouvoir traduira par quelques améliorations parmi les femmes généralement dans la société. Il y aura une équité salariale, plus de garderie, une plus grande attention à la sécurité des rues. Je pense que ces choses sont très importantes. Je les soutiens complètement. Mais il revient toujours au fait que l’ordre du jour de l’élite feminine, qui a en grande partie capturé la voix du féminisme, s’arrête là. Et en s’arrêtant là, il se traduit en vision d’un capitaliste, antidémocratique, société écologiquement destructrice avec l’égalité des sexes.
Q : En effet, vous dites que la classe est plus importante que le genre?
UD : Disons, plus fondamentale. Je pense que le rapport de classe est le moteur fondamental de notre monde. Elle est la chose qui définit le système dans une méthode qui est plus simple qu’autre chose. Utilisant le mot « important » peut nous égarer, car il pourrait être un jugement de valeur. Si l’oppression des femmes est plus important pour vous à un niveau d’intestin que la classe, ou si l’environnement, ou la race, ou la religion, ou la nationalité – bien, qui suis-je moi à en discuter ? Mais je pense que notre système économique est basé sur des rapports de classe, plus crucialement entre le capital et le travail. C’est ce qui détermine ce qui se passe à la richesse, qui a le pouvoir, le contexte dans lequel les décisions gouvernementales sont prises, où les gens vivent, le travail que vous effectuez et pour qui vous le faites.
Si vous y pensez, vous pourrez imaginer la répartition des pouvoirs se rapporter sur le genre, laissant la moitié du gâteau aux femmes. Ils ne l’aimeront pas, mais c’est concevable. Le système fonctionnera toujours. Les membres les plus prévoyants de l’élite sont même en faveur, parce qu’ils pensent que cela rendra le système plus fort. Mais il est impossible d’imaginer la répartition des pouvoirs se rapporter sur la classe, sur la division de la société ou basé sur ceux qui possèdent les moyens de la richesse, et ceux qui n’y possèdent pas. Faisant cela signifierait arrêter d’exister. Laisser des femmes dedans ne signifierait pas arrêter d’exister.
C’est dans ce sens que je pense que la classe est le rapport le plus fondamental. C’est l’écrou le plus dur à craquer. C’est le jugular.
Q : Qu’en est-il de l’âge ? Dans le contexte du changement social, est-ce que les gens deviennent plus conservateurs comme ils vieillissent ? Deviennent-ils plus sages?
UD : Vieillir est évidemment un fait biologique important, et je peux voir qu’il n’y a pas grand chose à y recommander. L’âge peut exercer un effet sur les activités politiques de quelqu’un, particulièrement dans le sens que l’âge a tendance à être accompagné par d’autres étapes normales de la vie, comme les enfants, plus de responsabilités financières, etc., qui peuvent vous faire abdiquer.
Mais généralement je pense que l’effet de l’âge dans ce sens est surestimé. Je connais beaucoup de personnes qui sont aussi politiquement commises maintenant qu’elles étaient quand elles étaient 20 ou 25 ans plus jeunes. N’importe qui dans le mouvement du changement social connaîtra également des personnes qui ont été des activistes pendant 30, 40, 50 années ou plus. Ce n’est pas quelque chose d’inhabituel. Et un bon nombre de gens sont des jeunes qui sont terriblement conservateurs. L’âge peut avoir un certain effet, mais je pense que la plupart du temps il est employé afin de stéréotyper des personnes, pour créer des divisions qui n’ont pas besoin d’exister, ou qui ne doivent pas être terriblement important. Il est tout à fait possible de vaincre l’âge qui se présente comme une barrière et de faire cause commune et de contact si vous en souhaitez.
Quant aux personnes qui deviennent plus sages pendant qu’ils vieillissent
. Bien, dison que devenant plus âgé signifie que vous avez eu plus d’une occasion de devenir plus sage parce que vous avez eu la chance de faire plus de choses, d’apprendre en faisant plus d’erreurs, lire plus de choses. Mon observation est que la plupart des personnes ne profitent pas beaucoup de cette occasion. Les jeunes imbéciles deviennent souvent des vieux imbéciles.
Mais je pense que le mouvement du changement social doit apprendre plus des aînés expériencés dans le mouvement. Il y a des gens qui ont beaucoup appris et éprouvé et qui sont devenu plus sages, et si nous pouvions essayer d’apprendre avec eux, nous pourrions tirer bénéfice de leur sagesse.
Je pense qu’il est important que nous fassions plus d’effort pour combler les barrières entre generations.
Q : Beaucoup de votre énergie politique y va dans Connexions. Comment percevez-vous Connexions, et comment la voyez-vous s’insérer dans le projet du changement social au Canada ?
UD : La situation au Canada – et dans beaucoup d’autres endroits – est qu’il n’y a pas une partie politique ou une force nationale organisée qui est engagée dans le changement social fondamental. Le NDP [Nouveau Parti Democratique] n’est même pas proche de ce concept. Hors du NDP, il y a beaucoup de personnes qui organisent de divers genres de groupes et de coalitions de bases, mais ils sont réduits en fragments. Je voudrais voir l’émergence d’un mouvement plus large avec un sens plus unifié avec quelques moyens de coordonner ses activités plus efficacement.
La contribution que Connexions est en train de faire dans cette direction est tout d’abord d’essayer de fournir les gens avec de l’information sur ce que d’autres groupes font, ce que d’autres activistes pensent, quelles expériences qu’ils en ont, qu’ils soient fructueux ou pas, quelles stratégies ils proposent, quelles ressources ils produisent. En outre, juste leur fournir de l’information brute afin qu’ils puissent communiquer les uns avec les autres, pour informer les gens que : voici y en a d’autres groupes qui font les choses semblables à ce que vous faites et voici leurs noms et adresses et numéros de téléphone : Vous pouvez entrer en contact avec eux et peut-être travailler ensemble. Nous fournissons ces informations pratiques.
Aussi, pour faire circuler des idées. Circuler en partie les idées que ces divers activistes développent parmi d'autres activistes et le public, et obtenir également des personnes qui pensent à certaines idées. Comme l’idée qu’il est bon de former des alliances avec d’autres personnes, de se rendre compte du fait qu’il y a des rapports entre les issues, pour faire comprendre aux gens qu’il y a des liens entre les problèmes environnementaux et les issues de paix et les issues de développement du tiers monde et les issues de droits de l’homme, les issues des femmes, des indigènes. Que toutes ces choses sont reliées.
Pour juger et encourager les gens à être moins paroissiaux dans la façon qu’ils regardent les choses; parce qu’un des vrais inconvénients des groupes populaires que nous avons au Canada est qu’ils tendent à avoir une vision étroite des choses. Ils tendent à penser que, « nous sommes juste impliqués dans le logement, ou la paix, » ou « nous sommes juste impliqués dans cette communauté particulière. » Ces choses sont bonnes, mais comme le slogan l’indique, vous devez penser globalement, et aussi bien agir localement. Si vous n’essayez pas de lier ces choses conjointement avec d’autres problèmes, alors vous vous limitez vraiment et vous limitez l’efficacité que vous pouvez en avoir.
Ainsi, à travers Connexions, j’espère que nous pourrons jouer un rôle d’une manière à encourager les gens à voir qu’il y a des liens entre les issues, et également à prendre certains mesures logiques qui suiveront de leur compréhension que ces liens existent. Ces mesures comporteront d’analyser ce que sont ces rapports et essayer de voir, ce qu’ils pourraient avoir en commun avec d’autres personnes qui travaillent dans des différentes communautés ou sur de différentes questions.
Si vous pouvez comprendre que votre lutte est également la lutte de quelqu’un d’autre, ou que vos différents soucis et problèmes font partie du même combat, le potentiel est créé pour un mouvement plus efficace, plus fort.
Le mouvement de classe ouvrière porte le slogan : « Une injustice à l’une est une injustice à touses. » Si c’est votre approche, vous comprenez donc ce que c’est la solidarité, la coopération, l’appui mutuel, ce que vous voulez l’appeler, est en même temps un devoir humanitaire semblable et à un acte d’intérêt personnel raisonnable.
Ce que cela peut signifier, en pratique, est que vous offrez de l’appui quand il est nécessaire ou faire de même quand on vous en demande. Cela aide les gens dans leur combat parce que si d’autres personnes viennent pour les soutenir, alors ils ont plus d’influence, plus de poids, ils ont une meilleure possibilité de réaliser quelque chose, et cela leur permet de se sentir plus forts et plus confiants, qui est souvent une grande partie de la bataille. Cela aide également d’ouvrir leurs yeux sur le fait qu’il y a quelque chose en commun, qu’il peut y avoir une raison pour travailler ensemble. Et elle encourage les gens à échanger cet appui.
Ce que vous faites, à ce niveau pratique, c’est de combiner l’analyse politique, analyse de classe, avec la solidarité de base et avec les décions politiques pratiques. Et en fait ils s’avèrent d’être plus ou moins la même chose.
Et maintenant vous avez une raison pour aller aux personnes que vous avez aidé et dire, « regardez, nous vous avons aidé, maintenant nous avons besoin de votre aide avec cette lutte dans laquelle nous sommes impliqués. » Vous avez beaucoup plus de motif pour demander cela quand vous avez besoin d’appui, si vous les avez soutenu quand ils ont eu besoin de vous.
Les gens qui travaillent pour le changement doivent prêter plus d’attention à cela : à l’idée qu’il est dans leur intérêt de travailler ensemble et de soutenir les uns les autres, et de former des alliances, et de former des coalitions.
Q : Alors, aucun regret?
UD : J’ai fait des erreurs que je regrette. Car je pense que nous en avons tous fait. Mais quant à la façon dont j’ai décidé de vivre ma vie, je n’ai aucun regret. Parfois je souhaite que les choses aient été un peu plus faciles, naturellement, mais je ne suis pas enclin à me sentir désolé pour moi-même. Vous devez faire votre propre bonheur à travers des occasions que la vie vous offre. Et je suis une personne assez heureuse par nature. En fait, la chose la plus importante est probablement le sens de l’humour, être capable de se moquer de l’absurdité de la vie et ne pas se prendre trop au sérieux.
Q : Et l’Ulli Diemer d’aujourd'hui trouve toujours son bonheur en étant une personne politique ?
UD : J’ai d’autres intérêts, vous savez. J’ai été accusé plus d’une fois d'être trop éclectique, assez non politique. Ce qui est une autre stratégie pour rester raisonnable, ne pas s’épuiser. Mais oui, je travaille toujours pour changer le monde. C’est moi. C’est la personne que je suis.
Q : Aussi longtemps que cela puisse prendre?
UD : Aussi longtemps que cela puisse prendre. Je suis une personne terriblement têtue. Mais je crois qu’on a besoin de s’amuser, et ne pas prendre la vie trop au sérieux.
Translated from the English by Dilshad Peerun.
1990.
Also available in Arabic.
Also available in English.
También disponible en español.
Also available in German: Interview mit Ulli Diemer.